Delphine Delecourt est formatrice en charge du programme « Santé des Apprentis » à la Sauvegarde du Nord. Elle vous présente le programme, mais aussi ses missions au quotidien… découvrez son interview :
Bonjour Delphine, peux-tu nous présenter le programme Santé des Apprentis ?
Le programme Santé des Apprentis est un programme novateur, unique en France, lancé en 2006 dans le Nord Pas-de-Calais. Nous avons un financeur fidèle depuis 12 ans, le Conseil Régional NPDC (puis Hauts-de-France). Le projet est co-porté par La Sauvegarde du Nord et L’institut Santé Travail Nord de France (ISTNF). Aujourd’hui, notre territoire d’exercice est l’ensemble de la région Hauts de France.
En 2017, 75 ateliers santé ont été menés sur les sites de formation des apprentis et nous avons rencontrés 1 400 apprentis et 238 professionnels.
Nous avons deux objectifs et axes majeurs :
• la mise en place d’ateliers santé, promotion santé dans les Centres de Formation d’Apprentis (CFA) et leurs antennes (UFA)
• la tenue de rencontres méthodologiques et d’ échanges de pratiques avec les acteurs de l’apprentissage exerçant en CFA, afin de les inciter à développer des actions « Prévention-Promotion Santé », les faire monter en compétences concernant les problématiques santé, les accompagner sur la posture à adopter auprès des jeunes.
Ma mission, auprès des jeunes et des professionnels, est de promouvoir la santé et le bien-être dans les centres de formation.
Mon objectif final est de donner aux jeunes les clés qui vont les rendre acteurs de leur santé, un véritable levier pour leur réussite scolaire et leur insertion professionnelle.
Comment fonctionnes-tu pour mobiliser les jeunes, les interpeller, échanger avec eux ?
La mobilisation des jeunes s’entame par une prise de contact avec les CFA où j’interviens auprès de classes constituées dans les centres de formation. Je recueille les besoins des équipes et des jeunes, puis j’interviens sur des thèmes qui les intéressent.
Depuis 2006, les besoins ont évolué. Certes, j’interviens encore beaucoup sur les pratiques de consommation (alcool, tabac, cannabis), sur l’alimentation et l’activité physique, la fatigue, le stress et le sommeil, la vie affective et sexuelle. Mais aussi sur l’estime de soi et les compétences psychosociales (savoir gérer son stress et ses émotions, être en capacité de dire « non » et résister à la pression, faire preuve d’esprit critique, savoir communiquer efficacement et entretenir de bonnes relations sociales…).
Je pense que nous devrions commencer par travailler sur l’estime de soi et d’autres compétences psychosociales avant d’intervenir sur les thèmes classiques de santé globale précités. Quand ces compétences sont acquises, le jeune adulte peut mieux gérer, appréhender les situations rencontrées dans sa vie personnelle et/ou professionnelle.
Les relations Hommes-Femmes, les stéréotypes de genre, les réseaux sociaux, le cyber-harcèlement… sont d’autres thèmes pour lesquels les centres de formation ont des attentes en nette augmentation. De fait, l’offre d’intervention est ajustée. La réactivité et l’adaptation des contenus aux attentes (parfois en « direct live ») sont à la fois des forces et des challenges, chaque jour !
Afin de mieux appréhender les besoins dans les groupes classe et ainsi offrir une intervention « sur-mesure », je diffuse un questionnaire qui va cerner les comportements de santé, l’état de santé et de bien-être ainsi que les thèmes sur lesquels les jeunes souhaiteraient des animations.
Les animations sont des ateliers de partage et d’échanges, jamais des cours descendants ; toujours des moments riches humainement, durant lesquels les jeunes apprentis peuvent parler de ce qu’ils vivent dans le CFA, au travail, à la maison. L’approche est ludique et participative, nous (Amar, animateur de prévention et moi-même) prenons appui sur leurs pratiques et leur vie, ajustant nos contenus en fonction de leurs représentations et idées fausses afin de mieux déconstruire.
Nos valeurs fortes sont le non-jugement, la non-moralisation et la non-culpabilisation, nous évitons les messages basés sur la peur. Nous priorisons des messages responsabilisant sur les comportements positifs à avoir.
Nous avons pour objectif une programmation de séances sur l’année, afin d’offrir un accompagnement dans la durée et espérer suivre l’évolution de leurs comportements. C’est un autre challenge car le rythme de l’alternance et les référentiels de formation rendent parfois complexe cette programmation annuelle. Les séances « One shot », — même si elles ne sont pas idéales- sont parfois la seule option pour toucher les jeunes. Elles peuvent souvent amorcer d’autres actions pour les jeunes mais aussi pour l’équipe éducative, tous curieux et tous demandeurs !
Peux-tu nous dire quels sont les effets bénéfiques de ce programme ?
A l’issue des animations « Santé », les jeunes sont heureux d’avoir eu l’occasion d’échanger, d’avoir abordé des sujets de santé qui les concernent, en toute confiance et sans jugement. Quand on exerce ce métier-là, quel que soit le public en face, il faut savoir rester humble, très humble…
En effet, je ne peux pas dire que mes animations suffisent à changer le comportement des jeunes accompagnés. Je représente un maillon, en suscitant chez eux une prise de conscience et en les accompagnant vers un comportement plus responsable.
Nous donnons des clés aux jeunes afin qu’ils fassent des choix éclairés de santé, des choix responsables pour eux-mêmes.
A mon sens, le travail de prévention est quotidien dans ce programme. Le fait d’amener une prise de conscience chez les jeunes en identifiant des situations problématiques pour eux, permet de prévenir des problèmes d’addiction, d’adapter leurs comportements en terme d’alimentation par exemple (pour les jeunes travaillant en horaires décalés). Ils ont tous les ressources pour agir sur leur santé ; certains se mésestiment, d’autres n’ont juste jamais eu l’occasion de se dire : « oui, ce corps est le mien… à moi d’en prendre soin, de savoir ce que j’encours si je dérape parfois… ». Nous, on leur donne les clés pour qu’ils se posent ces questions-là, ensuite…. À eux de jouer !
As-tu une ou deux anecdotes à nous raconter ?
Une anecdote récente, marquante, à laquelle je pense est celle d’une jeune en BTS qui, durant un atelier alcool-tabac, était très valorisée par ses camarades sur le nombre de verres d’alcool qu’elle prenait lors de ses sorties les soirs de week-end. A chaque prise de parole où elle vantait ses cuites, ses descentes d’alcool hors pair, elle recevait un feed-back positif de ses pairs. Elle bombait le torse, tour à tour fanfaronnante et provocante.
Puis, j’ai introduit en milieu de séance la notion de dépendance, comment elle s’installe plus ou moins insidieusement, avec des pratiques de consommation en groupe, valorisées socialement et qui peuvent glisser, souvent, vers des pratiques de consommation en solo. Le besoin de boire chaque jour, un peu plus avec un retrait de la vie sociale, recherché ou non….
A ce moment-là, quelque chose s’est produit chez cette jeune fille. Son attitude et ses propos ont changé, stoppant l’ironie. Elle dit alors « moi j’aimerais bien être en capacité de dire non aux verres que l’on me propose, de sortir sans boire, sans craindre d’être rejetée par les camarades avec qui je sors ». Il est souvent difficile pour eux de dire non, de trouver les bons arguments pour convaincre qu’ils n’ont pas besoin de boire ou fumer pour s’amuser.
Beaucoup d’apprentis portent le poids d’un regard négatif concernant l’apprentissage. Les mentalités changent, le regard que porte la société dans son ensemble sur l’apprentissage évolue, positivement…
Nous travaillons beaucoup sur la valorisation de leur métier, en développant leur estime, la valorisation positive de leurs ressources personnelles et de leurs potentialités… Cela entre dans la promotion de la santé.
Plus un jeune sera fier du métier qu’il apprend, plus il pourra mettre en avant ses compétences et tendre à devenir un adulte épanoui dans sa vie.
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